Vice-présidente des Affaires corporatives chez Xstrata Nickel et première présidente de l’Association minière du Québec
Par Antoine Dion-Ortega
Dominique Dionne, vice-présidente des Affaires corporatives chez Xstrata Nickel et première présidente de l’Association minière du Québec, non issue du milieu de l’ingénierie, a décidé de lutter contre le manque de femmes au sein de la main-d’œuvre minière. Son objectif : montrer aux jeunes femmes que les attitudes ont changé et que l’industrie minière est maintenant prête à les accueillir à bras ouverts.
C’est un fait : le recrutement des femmes dans l’industrie minière est une lutte quotidienne. L’industrie accuse toujours un retard quand il s’agit de mixité : les femmes représentent seulement 14,4 pour cent de la main-d’œuvre active de l’industrie, bien derrière le secteur pétrolier et gazier, où 20,2 pour cent des travailleurs sont des femmes, et l’écart est encore plus manifeste si l’on tient compte de la moyenne canadienne, où les femmes sont majoritaires au sein de la population active. L’industrie minière devra travailler en amont dans le processus de recrutement et changer les perceptions si elle veut répondre à la demande de main-d’œuvre et s’imposer comme un choix de carrière attrayant pour les étudiants de sexe féminin. Bien sûr, il y a des femmes qui sont déjà à pied d’œuvre à l’intérieur de l’industrie, qui font évoluer les perceptions et qui sont des sources d’inspiration pour une future main-d’œuvre féminine.
ICM : Lorsque vous avez commencé votre carrière chez Noranda en 1979, le pourcentage de femmes œuvrant dans l’industrie minière devait s’approcher de zéro. Qu’est-ce qui vous a attirée dans une industrie tellement dominée par les hommes?
Dominique Dionne : Il est vrai que l’industrie comptait peu de femmes à l’époque. En 1971, l’article 259 de la Loi sur les mines du Québec stipulait qu’aucune femme ne pouvait travailler dans une mine souterraine, sauf en tant qu’ingénieure ou géologue. Je dois vous dire que, lorsque j’ai commencé à travailler pour Noranda en 1979, il y avait effectivement un malaise palpable chez les mineurs lorsqu’ils voyaient une femme travailler à leurs côtés sous terre. À cette époque, certains croyaient que cela portait malchance.
C’est plus ou moins par accident que je me suis retrouvée à travailler dans l’industrie minière. Mon domaine est la gestion des affaires publiques et des communications, domaine dans lequel la majorité des travailleurs sont des femmes, quelle que soit l’industrie. J’étais intéressée par les relations communautaires; c’est grâce à cela que je suis entrée dans le domaine de l’exploitation minière. Je me suis donc retrouvée dans une enclave où les postes sont plus traditionnellement occupés par des femmes, mais dans une industrie qui est encore largement dominée par des hommes.
ICM : Quels étaient les obstacles auxquels se heurtaient les femmes à l’époque? Ces obstacles sont-ils encore présents aujourd’hui?
Dominique Dionne : La difficulté majeure à l’époque était de trouver un moyen de concilier travail et vie de famille. La vie de famille ne devait jamais, en aucun cas, devenir un problème. Aujourd’hui, les choses ont changé. J’ai fini par me rendre compte que l’important est d’accepter son rôle de mère et d’en parler franchement avec son employeur. Cette façon de penser est de plus en plus répandue chez les jeunes et chez un nombre croissant d’employeurs. Dans la plupart des industries, des solutions ont été trouvées. Pourquoi faudrait-il qu’il en soit autrement pour la nôtre? Le deuxième obstacle, c’est que les lieux de travail n’avaient pas été conçus pour accueillir des femmes. Par exemple, il n’y avait pas de vestiaires pour les femmes, ce qui devenait une excuse facile pour les gestionnaires, qui disaient : « Nous ne pouvons pas embaucher des femmes, car nous n’avons pas de toilettes pour les femmes et cela représenterait trop de difficultés de réaménager l’ensemble de notre système. » Abandonner l’idée même de travailler avec des femmes était assez facile à faire.
Nous étions contre cette mentalité selon laquelle l’exploitation minière est la chasse gardée des hommes. Une des solutions de l’industrie a été de créer de petites équipes de femmes plutôt que d’imposer la présence d’une seule femme dans ces groupes d’hommes. Aujourd’hui, les hommes sont plus ouverts et accueillants et nous observons un renversement de la tendance.
ICM : Où se situe l’industrie sur cette question aujourd’hui? Pourquoi la mixité est-elle devenue si importante?
Dominique Dionne : Les attitudes dans notre milieu de travail ont évolué et les esprits se sont ouverts. Un effectif plus diversifié est maintenant perçu comme souhaitable parce que les gens sont conscients des avantages, qui n’ont pas seulement trait à la mixité, mais également à l’âge, à la culture et à l’origine ethnique. Toutes les études ont démontré qu’une main-d’œuvre plus diversifiée, au sein de notre conseil d’administration ou de notre direction générale, conduit à un rendement au travail amélioré et à un succès financier accru. Pourquoi est-ce vrai? Parce que les hommes et les femmes abordent certaines questions de manière différente. Ainsi, la présence de femmes dans le personnel nous ouvre la porte à un éventail élargi d’idées. Nous ne nous limitons plus aux façons traditionnelles de penser ou d’agir. En introduisant une certaine diversité dans nos organisations, nous commençons à diversifier notre pensée globale. C’est un excellent moyen pour une entreprise de se démarquer.
ICM :En dépit de cette prise de conscience, l’industrie se bat encore pour attirer les jeunes femmes. Pourquoi?
Dominique Dionne : Je pense que le problème ne vient pas nécessairement de l’industrie en tant que telle. Il dépend grandement des programmes de formation qui sont offerts aux jeunes femmes dans nos établissements d’enseignement. À titre d’exemple, si un programme de soudage est offert, 90 pour cent des étudiants intéressés par un tel programme seront des garçons et seulement 10 pour cent seront des filles. Ainsi, la banque de candidates dans laquelle une société peut puiser sera déjà très limitée. Dans un tel scénario, nous pourrions nous retrouver avec 99 pour cent de nos soudeurs qui sont des hommes. Nous devons regarder les choses à la base : quels sont les programmes offerts aux jeunes femmes? Comment leur présente-t-on les possibilités que ce domaine leur offre? Si nous ne changeons pas les choses à la base, peu importe les efforts que nous ferons à notre niveau, nous n’aurons tout simplement pas suffisamment de femmes qualifiées pour répondre aux besoins de l’industrie. Nous devrons travailler en amont dans le processus et parler aux jeunes filles à un âge où elles commencent à réfléchir à leurs futures carrières.
ICM : Faire de Xstrata Nickel un endroit où les femmes resteront et auront des possibilités d’avancement est l’un de vos principaux objectifs. Comment allez-vous y parvenir?
Dominique Dionne : Chez Xstrata Nickel, j’ai été chargée de superviser le programme de mentorat pour le Réseau des femmes cadres depuis sa création il y a six ans. Ce programme sélectionne les jeunes femmes professionnelles dans nos rangs pour leur faire profiter d’un mentorat offert par certaines des 100 femmes les plus influentes au Canada. Nous sommes à la recherche des jeunes femmes les plus prometteuses qui peuvent travailler dans l’une ou l’autre de nos succursales dans le monde; la qualité prime sur la quantité. À ce jour, 50 jeunes femmes ont suivi le programme. En dépit de notre merveilleuse diversité d’employées, les femmes ont encore du mal à gravir les échelons de l’entreprise dans notre industrie. Le but visé par ce programme de mentorat est de fournir à ces jeunes femmes les outils dont elles ont besoin tout en les mettant en contact avec des modèles féminins forts; et nous croyons que cela contribuera à les préparer à assumer des rôles de plus en plus importants. En effet, nous espérons être en mesure d’exporter un concept similaire dans d’autres régions où nous sommes présents, comme la Tanzanie.
Nous voulons aussi aider les écoles à attirer davantage de filles dans les programmes de spécialisation. Nous avons un projet en cours avec l’Université Carleton à Ottawa, laquelle est l’hôte du Centre for Women in Politics and Public Leadership. Nous sommes engagés dans le processus d’élaboration d’un forum qui donnerait la possibilité à des étudiantes de s’engager dans un dialogue avec des représentants gouvernementaux, des ONG et des membres de l’industrie sur la question suivante : Comment pouvons-nous faciliter l’avancement des femmes dans nos sociétés minières? Existe-t-il des hypothèses fondamentales qui entravent leur avancement? Nous sommes confrontés à un défi et nous sommes à la recherche des meilleurs moyens d’y faire face. C’est en en parlant davantage et en consultant d’autres secteurs à la recherche de solutions que nous serons en mesure de faire face à ce défi. Le premier forum de discussion se tiendra le 16 octobre à l’université.
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